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Un après-midi de chien

 

   C'est le 21 septembre 1975, soit 18 ans après son premier film, que Sidney Lumet présente "Dog day afternoon". Le scénario, écrit par Frank Pierson, puise son inspiration dans un fait divers. A Brooklyn, trois braqueurs entrent dans une banque afin de dévaliser les coupures des coffres. Problème : l'argent a été embarqué par les convoyeurs quelques heures auparavant, l'un des trois braqueurs s'en va par manque de courage, la police et les journalistes accourent, et l'affaire est médiatisée à l'extrême. Sonny et Sal se retrouvent piégés dans la banque avec les employés, la foule rassemblée à l'extérieur manifeste sa sympathie pour un Sonny dont les journalistes révèlent l'homosexualité, la mère de ce dernier débarque et s'adresse à son fils devant les caméras et les otages attirent les médias sur eux afin de profiter de la situation.

 

   Brillant, le scénario s'appuie sur une distribution pertinente. A sa tête, Al Pacino dans le rôle d'un Sonny attendrissant et perdu. Son interprétation lui vaudra une nomination à l'Oscar du meilleur acteur, lequel atterrira finalement entre les mains de Jack Nicholson pour son rôle dans "Vol au-dessus d'un nid de coucous". John Cazale campe le faible, las et énigmatique Sal. Son minimalisme affronte froidement celui de James Broderick, le digne interprète du représentant du FBI. En face de ce duo antagoniste, Pacino voit son tempérament opposé à celui de Charles Durning, chef paniqué de la police.

 

    Retour sur le travail d'Al Pacino. Camper, en 1975, un personnage homosexuel dans un rôle principal n'est pas monnaie courante, et se double présentement d'une densité très complexe. Son attitude et son discours rassemblent un certain nombre de cris de détresse. D'abord , en effet, sur la sexualité. Ensuite sur le contexte social. Bien avant l'explosion de la désillusion généralisée de la jeunesse, Al Pacino interprète un personnage en quête de finalité. Il témoigne de la première génération à devoir se forger dans une autre chose que la guerre et se rendant compte que la politique n'a pas élaboré de système exaltant pour la jeunesse.

 

    Avec son talent incontestable, Sidney Lumet ne peut passer à côté de son coutumier jeu des espaces. Le tour de force de ce film réside dans la composition des décors. La banque, la voiture et le salon de coiffure constituent des lieux clos, oppressants. La banque parce qu'elle est l'objet de tous les regards, la voiture parce qu'elle concentre l'angoisse de tous les personnages et le salon de coiffure car tous les représentants de la loi s'y bousculent et y fourmillent dans la rapidité des événements. La rue devient, à cause de cette sorte de huit-clos multiple, le catalyseur de toutes les tensions. Les représentants des forces de l'ordre hurlent des ordres tous azimuts, la foule se déchaîne en faveur des preneurs d'otages et crie des slogans, Sonny y fait un véritable spectacle et les médias s'y bousculent comme pour couvrir un effet de mode.

 

   La froideur du film et l'ambiance pétrifiante de ses deux heures sont construites, en partie, grâce à une orchestration sinistrement absente. A l'exception du générique initial dont les plans se succèdent sur un morceau d'Elton John, aucune musique ne vient ponctuer le long-métrage. Même le générique final se déroule sans la moindre note. La rudesse d'un déroulement aussi sec que celui de "Un après-midi de chien" ne souffre pas grande similitude avec d'autres œuvres du 7ème Art.

 

   Exactement inverse à "12 hommes en colère" (1957), premier film de Sidney Lumet, qui était un éloge de l'habileté intellectuelle, stratégique et oratoire, "Un après-midi de chien" est un éloge du chaos, de la panique et de la maladresse. Mesuré dans son emportement, taillé dans la finesse, débridé dans l'effroi, ce film est, à l'image de son réalisateur, un monument de l'Art cinématographique.

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