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Juste la fin du monde

 

    Grand prix du festival de Cannes, édition 2016. Telle était la seule punition que méritait ce chef d'oeuvre de Xavier Dolan sorti en France le 21 septembre 2016. L'histoire est l'adaptation d'une pièce de théâtre écrite par Jean-Luc Lagarce et sera assurément une pièce maîtresse de la filmographie Dolan.

 

    Louis, un auteur de théâtre de 34 ans ayant déserté le foyer familial depuis bien longtemps et n'ayant pas vu ses proches depuis de longues années, décide de revenir les visiter une journée afin de leur annoncer qu'il est gravement malade et que sa mort est proche. Tel est le scénario autour duquel s'oriente ce long-métrage. Une trame relativement uniforme qui soulève pourtant une inondation de préoccupations, de sensibilités, de personnalités, de caractères, de réactions, de rancunes et d'émotion qui tisseront leur toile tout au long du film avec une subtilité tout à fait maîtrisée.

 

    Nous allons relever ce mot : subtilité. Le thème principal de ce long-métrage est probablement la frustration et s'élève en montagnes pesantes de terribles passions. Le personnage principal autour duquel tourne l'histoire est un être distant qui se démarque dès l'annonce des acteurs dans le générique initial puisque, annonçant les acteurs dans l'ordre chronologique, il met à part, en dernier lieu, son interprète : Gaspard Ulliel. A partir de là, le long-métrage est une succession de plans isolant les différents protagonistes dans des cadres serrés, proches, comme si l'on ne pouvait éviter de faire face aux personnalités dans le flot des émotions noyant les personnages.

 

   Subtilité ensuite dans le jeu des acteurs, exceptionnels, que sont Nathalie Baye, Vincent Cassel, Marion Cotillard, Léa Seydoux et Gaspard Ulliel. La première embourbée dans le labyrinthe faussement charismatique du matriarcat, le deuxième enfermé dans son rôle d'aîné blessé par son incapacité à souder la fratrie, la troisième à la place de l'épouse écrasée par le caractère de son mari mais douée d'une sensibilité attachante et maladroite, la quatrième dans le rôle de la cadette livrée à elle-même et démunie de tout repère, tous présentent des interprétations bouleversantes et absolument justes. Il faut dire "absolument" car les plans serrés obligent ces interprètent à présenter des prestations fabuleuses tant la proximité avec le spectateur est accentuée. Quand les traits rudement encadrés et bariolés de Nathalie Baye cisaillent l'écran de leurs ombres et lumières, la pureté de Léa Seydoux attendrit l'image ou la dureté de Vincent Cassel se révélant uniquement dans sa dernière scène (les autres séquences étant une sorte de divagation entre des personnages passés et typiques de son jeu) inondent l'image de présences travaillées et psychologiquement très profondes.

 

    Subtilité principalement dans le jeu impeccable d'une Mario Cotillard irréprochablement bouleversante. Sa maladresse, sa sensibilité, la beauté de son interprétation, l'originalité de son personnage au vu de sa carrière, les expressions de son visage maîtrisé avec un talent incommensurable, font de sa présence dans le film une sorte de mérite à elle seule pour une récompense cinématographique. A ses côtés, Gaspard Ulliel livre un travail aussi laconique que puissant, transformant ses expressions faciales en histoires tantôt réjouissantes tantôt douloureuses et exprimant, avec beaucoup de talent, toutes les complexités de son personnage.

 

   Subtilité toujours dans la photographie exceptionnelle d'André Turpin. Non seulement cet habitué de la filmographie Dolan réussit, une fois encore, à utiliser les lumières du long-métrage avec un art particulièrement efficace, mais de surcroît il ajoute des effets simplement parfaits et modérés comme le filtre bleu que l'on peut rencontrer lors de plusieurs scènes mais qui ne paraît ni outrancier ni insuffisant. Simplement maîtrisé.

 

    Subtilité sans cesse lorsqu'il s'agit de la musique. Moby et Genesis n'y sont pas pour tout : Gabriel Yared a aussi signé une partition originale qui englobe de versions instrumentales ce film qui n'attendait qu'une musique caractérielle et puissante. C'est chose faite avec des cordes frottées efficaces et rythmée qui transforment la bande-son en chef d'oeuvre.

 

    Subtilité encore concernant la mise en scène. Le film s'ouvre sur un flou artistique et s'achève sur un dé-zoom. Ne sont-ce pas, là, deux preuves de l'habileté d'une réalisation pertinente ? Les filtres, les zooms lents, les plans rotatifs, les flous et les caméras fixes : tout est parfait et lourd de sens.

 

   Ce film est une pure volonté d'aboutir à un véritable chef d'oeuvre. Et il y parvient avec un brio à la fois surprenant et délicieux, audacieux et délectable, qui accentue chaque détail du film avec une précision incomparable car – est-il nécessaire de le rappeler ? - Xavier Dolan réalise avec son cÅ“ur.

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