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Le 24 février 2017, les États-Unis découvrent un long-métrage d'horreur, premier film très attendu de Jordan Peele dont le sujet central est celui du racisme. Le scénario raconte l'histoire de Chris, un noir américain partant rencontrer sa belle-famille en compagnie de sa copine Rose. Dans ce foyer aisé et isolé à la campagne, les propriétaires sont très ouverts et semblent l'accueillir avec une grande fraternité mais Chris va vite rem arquer que les domestiques noirs ont des réactions et des attitudes très particulières, et que la famille Armitage possède un but dans le cadre de sa venue.
Plus encore que de traiter du racisme, le film traite des personnes qui se prétendent ouvertes et anti-racistes mais qui véhiculent des clichés menant à la stigmatisation malgré des revendications supposément progressistes. Dans l'esprit de ces personnes, l'ouverture doit systématiquement se manifester par un compliment ou une réflexion soulignant un entrain particulièrement manifeste et souvent très faux, c'est ce que tente de montrer le film.
Le long-métrage va user de plusieurs stratagèmes et de plusieurs astuces pour faire entrer le spectateur dans son ambiance pleine de malaises et de tensions. D'abord, la réalisation trouve le moyen d'introduire la notion de prédation bestiale à l'intérieur de chaque scène, au niveau des dialogues, de l'image, des métaphores mais aussi des situation allant jusqu'à la subjectivité.
On constate durant tout le film, qu'une métaphore filée semble s'imposer dès l'aller chez la famille Armitage avec le choc de la biche qui ne marque que le côté de la voiture où est assis Chris. La remarque du père à ce sujet lors de leur arrivée, le sentiment de défiance et de danger permanent, l'impression de fuite comme seule issue ou l'omniprésence de la forêt comme un refuge : autant de manières pour l'équipe de production de montrer au spectateur combien Chris semble devenir une proie évidente à ses propres yeux.
Concernant le cadrage, le réalisateur propose un isolement devant une situation sans issue à la manière de "Shining" (1980) mais en utilisant des procédés inverses. Là où des plans très larges et incluant le décor permettaient à l'Overlook de prendre possession visuellement des personnages en les engloutissant, les protagonistes semblent ici se perdre eux-mêmes dans des plans serrés provoquant une isolation vis-à -vis de leur environnement et des autres personnages.
De même, Peele choisit un éclairage chaud pour immerger le spectateur dans une ambiance de supposée confiance comme si chacun devait pouvoir s'identifier à la situation de Chris et faire d'un danger une simple paranoïa. Les décors sont faits pour tromper avec une alliance de pièces chaudes et boisées, et de cadres extérieurs espacés et nets.
Dans ce travail visuel du film, les personnages évoluent sans qu'on sache trop bien si le danger peut venir d'un seul d'entre eux, de tous ou de quelques uns. Le mystère demeure absolu et se nourrit avec force du jeu des acteurs, irréprochablement juste, par lequel la sérénité, la violence, le sadisme, l'envie, la convoitise, la froideur mécanique ou le contrôle se retrouvent représentés à l'écran avec grande pertinence. Chacun dans son style y va de son talent et l'histoire prend aussi forme grâce à des prestations mémorables et manifestant un profond malaise. L'astuce consistant à isoler les personnages dans des cadres serrés permet de suggérer une évolution de chacun d'entre eux en vase clos comme s'ils se construisaient indépendamment sur le pire aspect de leur personnalité sans jamais recevoir d'influence extérieure.
La musique, comme dans le film de Stanley Kubrick cité précédemment, se constitue de partitions très angoissantes, mêlant des chants choraux et des bruits intrigants. On retrouve aussi plusieurs titres dès la scène introductives, ajoutant parfois de l'insouciance à une ambiance écrasante au point que plusieurs morceaux sont utilisés avant la fin du générique initial pour faire varier les impressions du spectateur et ainsi le perdre visuellement comme auditivement.
De nombreuses scènes sont de véritables coups de poing à l'image du passage très court avec le ukulélé, du moment où Chris fait une introspection sur le jour du décès de sa mère, ou bien la séquence de la grande réception jusqu'au moment du flash. Jordan Peele réalise un film qui peut demeurer profondément mémorable par bien des aspects dans la mesure où l'on trouverait bien peu de reproches à formuler à l'encontre de sa première œuvre cinématographique.
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