Elephant man
C'est le 10 octobre 1980 que David Lynch projette pour la première fois un biopic issu de son travail. Adapté d'une histoire vraie, le synopsis de ce film demeure aujourd'hui encore une référence du genre ainsi que du drame dans le 7ème Art.
Dans l'Angleterre victorienne, un monstre de foire suscite, à cause de sa difformité physique, l'intérêt scientifique puis humain du professeur Frederick Treves. Ce dernier entreprend de lui offrir une vie digne de son intellect intact et exercé mais fait face à un déchaînement de mauvaises intentions de la part de nombreux personnages.
La ligne de fond est celle du questionnement sur l'humanité. En permanente recherche de statut, John Merrick est alternativement considéré comme une chose possédée par un propriétaire, comme un monstre destiné à animer le monde du spectacle et à nourrir les plus vils spéculateurs, comme un animal n'ayant aucunement la possession de droits sociaux, ou comme un être humain à part entière ayant de l'esprit et une dignité.
Tout comme dans "La Belle et la Bête" (1946) de Jean Cocteau, "Elephant man" s'attache à démontrer que la monstruosité ne touche pas au physique mais à l'esprit, à la volonté. On aurait tendance à trouver dans ce scénario une inspiration de la philosophie de Rousseau selon laquelle l'homme naît bon mais est corrompu par la société. Le film met ainsi les nombreux protagonistes sur un pied d'égalité face à la monstruosité : les médecins observant Merrick par curiosité autant que par intérêt scientifique, les notables trouvant le prétexte de la discussion cultivée pour pouvoir le rencontrer, le monde du cirque l'exploitant et le violentant comme un animal et les badauds tirant un profit pécuniaire de leur virée nocturne dans la chambre de l'homme-éléphant.
Les personnages appréhendés comme "mauvais" présentent tous les vices de la nature humaine tandis que les personnages appréhendés comme "bons" voient leur motivation ternie en ce qu'ils permettent aux premiers d'effectuer leurs actes mortifiants. En face de ceux-ci, John Merrick mène une quête vers l'attitude normale, vers le geste humain. Sa recherche permanente de comportement humanisant aboutit à une fin de film sur une situation dans laquelle il peut se considérer comme un être à part entière : on y retrouve ainsi la culture, l'art, la conscience, la prise de décision et la volonté comme autant d'éléments l'éloignant des conditions dégradantes dans lesquels il avait été poussé.
A la tête du casting, on retrouve le brillant John Hurt dont l'interprétation ne peut que difficilement être jugée dans la mesure où il porte du début à la fin un masque déformant complètement son visage. Néanmoins, la prouesse réside dans la démarche et dans les gestes, parfois quasi-imperceptibles, du personnage de John Merrick, maladroit, difforme et contrefait. Est à saluer la prestation sensible et intelligente d'Anthony Hopkins dans le rôle du professeur Treves, preuve de talent et de finesse. On notera ainsi la scène dans laquelle il voit pour la première fois de ses yeux Merrick.
La partition est signée John Morris. Tour à tour tendre et puissante, la musique parvient à traduire le vertige culminant de la nature humaine dans tous ses pleins et ses déliés. Alliée à ces morceaux souvent troublants, la photographie intervient comme la preuve d'une vision binaire de l'humanité. Le noir et blanc, technique utilisée volontairement par le réalisateur, provoque un choc des éléments visuels. Ainsi les couleurs claires et les couleurs foncées s'affrontent systématiquement en précipitant dans leur lutte permanente les décors contrastés, les costumes et les lumières judicieusement utilisées afin d'être alternativement un refuge et une accusation.
Afin de mieux provoquer le malaise du spectateur, la caméra procède à des rapprochements subits ou opère à plusieurs reprises des rotations autour du personnage principal. Déstabilisée, l'image, renforcée par la musique exaltée et la photographie tourmentée, semble à la fois intrigante et horrifiante afin de placer le spectateur au centre des ressentis de John Merrick.
Grave et puissant, sévère et talentueux, "Elephant man" est un film qui prête à réfléchir sur les points intellectuel et artistique. Inspirant tour à tour la compassion, la haine, le désespoir ou la sympathie, le long-métrage précipite toujours des réactions exaltées. Le résultat n'en devient que plus merveilleux et provoque le cataclysme émotionnel souhaité par la réalisation.