Apocalypse now
Le 15 août 1979, Francis Ford Coppola présente un nouveau long-métrage dont le scénario se porte sur la guerre du Vietnam. Énième long-métrage sur le sujet, la critique s'attachera aussi à parler de ses spécificités, de ce qui le différencie de "Voyage au bout de l'enfer" (1979), "Platoon" (1986), "Full metal jacket" (1987) ou "L'échelle de Jacob" (1990).
A la demande de l'armée américaine, le capitaine Willard part à la recherche du colonel Kurtz qui a pris la tête d'un groupe d'indigènes fanatisés afin de mener des opérations jugées comme barbares. Le film est construit comme un double voyage initiatique. D'abord par l'expérience au contact d'autrui. En vivant l'horreur de la guerre, Willard va évoluer et s'adapter aux conditions de vie des soldats engagés dans le conflit. Ensuite de manière très personnelle avec l'étude du dossier de Kurtz, à la lecture duquel le capitaine se forge un avis bien différent de celui des services secrets américains.
Le tour de force réalisé par Coppola (en sus des difficultés titanesques du tournage dus notamment à la crise cardiaque de l'acteur principal Martin Sheen ou au physique méconnaissable de Marlon Brando) consiste en un montage extrêmement habile doublé d'un esthétisme à toute épreuve. Ainsi les couleurs froides occupent les plans représentant l'armée américaine et les villages du Vietnam tandis que les couleurs chaudes enveloppent les scènes avec le colonel Kurtz et l'inimitable Marlon Brando. La direction de la photographie utilise des éclairages sauvages afin de transcrire visuellement ce que l'on pourrait qualifier d'horreur guerrière mais aussi le mystère qui entoure le colonel et la formation de Willard.
Retour sur la plus fameuse utilisation de "La chevauchée des Walkyries" et ce qui s'apparente à l'une des plus fameuses scènes du cinéma traitant de la guerre du Vietnam. La prise de la plage se pare ainsi d'une partition extraordinaire que Coppola utilise dans une inspiration que l'on pourrait qualifier de quasi-kubrickienne, c'est à dire en tentant de faire coïncider les apothéoses musicales et les effets visuels. Le débarquement se fait en hélicoptères, permettant à la réalisation de signer des plans aériens plus qu'exemplaires. Plus la caméra se rapproche des cockpits plus le volume de la musique wagnérienne est élevé, afin de faire en sorte que la partition incarne pleinement le danger. Ce dernier, dématérialisé, semble se diffuser encore plus rapidement que les engins de l'armée américaine et infiltrer chaque détail de l'image. Les notes tenues par la cantatrice se mêlent au brouhaha des tirs, des explosions et des moteurs, ce qui transforme ces sons brillamment interprétés en hurlements horrifiants. Puis l'équipe de réalisation utilise un autre outil : la rapidité de la musique, celle-ci se régule en fonction de l'avancée des soldats américains. La culture s'oppose ainsi à la barbarie dans un vacarme épouvantable.
Martin Sheen, tourmenté et souvent expectatif à souhait, est l'interprète principal du film. Avec un talent particulier, il donne la réplique à Robert Duvall, Marlon Brando, Harrison Ford, Laurence Fishburne ou Dennis Hopper qui forment la distribution mythique de ce long-métrage. Plusieurs générations de géants du cinéma s'affrontent ainsi comme les partisans de deux mondes embarqués dans l'aventure catastrophique de la guerre. Tous justes, tous puissants, pour la plupart profondément charismatiques, ils incarnent avec brio les rôles complexes qui parsèment le scénario.
En ouverture, une superposition de nombreux plans, magnifiques, sur le titre "The end" de The Doors. Mettant en avant la qualité extrême des images, Coppola réalise ce qui pourrait passer pour un véritable clip attribué à la chanson du groupe. Se succèdent ensuite des partitions splendides et paroxysmiques parmi lesquelles "Satisfaction" des Rolling Stones ou "La chevauchée des Walkyries" de Wagner, précédemment citée.
Sous le regard attentif et que l'on pourrait juger, a posteriori, omniprésent de Kurtz, le film s'achève sur une séquence mystérieuse mais brillamment mise en scène via un double suivi : scénaristique et allégorique. Le long-métrage s'achève ainsi sur le concept de sacrifice total, enveloppant le film dans une apothéose mystique et profondément artistique.
