L'homme orchestre
Le 18 septembre 1970, Serge Korber présente un film très inhabituel. L'histoire d'un artiste dirigeant une troupe de danseuses avec la plus grande sévérité. Leur interdisant d'avoir des enfants, de fréquenter des hommes ou de sortir le soir, il veille à chacun de leurs repas comme à chacun de leurs gestes.
Si la distribution accorde à Louis de Funès le rôle principal du long-métrage, il est indéniable que le film plonge le spectateur dans une certaine indécision quant à sa place dans l'oeuvre. Deux possibilités s'offrent alors : soit le film est beaucoup plus poussé qu'il n'y paraît dans sa dimension artistique et le talent de Louis de Funès est indispensable au rôle car il est probablement le seul à pouvoir interpréter un tel personnage, soit le film est beaucoup moins complexe qu'à première vue et dans ce cas de Funès a été manipulé afin de rehausser le niveau général de l'oeuvre.
Entre ces deux hypothèses, nous choisirons la première et ce pour plusieurs raisons.
D'abord parce que la réalisation est d'une singularité déroutante. Si le scénario est un minimum intéressant, les dialogues sont d'un creux sidéral, ce qui permet de mettre en relief le travail fourni sur le physique. Ce film est une ode au geste. A travers mîmes, danses, réactions théâtrales, bruitages et mises en scène spectaculaires, le long-métrage fait passer une véritable recherche dans le traitement visuel du corps et du mouvement.
Ensuite parce que l'esthétisme relève d'une œuvre à part entière. Premièrement sur les couleurs utilisées dans les accessoires, les costumes et les décors et deuxièmement sur les textures et les formes. Tous ces éléments s'entrechoquent pendant une heure trente pour faire de la durée du film un pur travail artistique.
Enfin parce que l'aspect musical du film relève lui-même d'une véritable recherche imbibée des morceaux instrumentaux typiques des années 1960 et fait du long-métrage une œuvre très expérimentale lors de très longs passages, principalement situés durant la première demi-heure. Tout cela, allié aux chorégraphies, fait du film une œuvre appartenant à un genre à part : la comédie-ballet.
Pour toutes ces raison, "L'homme orchestre" est bien un long-métrage à part, mettant en valeur tant le travail profond que l'improvisation (car de nombreuses scènes sont improvisées par Louis de Funès) à l'intérieur d'un résultat qui ne saurait être fixé dans un genre classique du cinéma français des années 1960-1970.