L'assassin habite... au 21
Pendant la seconde guerre mondiale, Henri-Georges Clouzot présentait un film marquant le début de son apogée artistique : "L'assassin habite... au 21", sorti à Paris le 7 août 1942.
Un tueur en série assassine des civils en pleine rue afin de vandaliser leurs biens et laisse sa carte de visite sur les lieux de ses méfaits. A priori, rien de bien incroyable dans ce scénario. Sauf qu'Henri-Georges Clouzot réussit l'exploit, non pas de révolutionner le cinéma policier français, mais de populariser dans l'Hexagone l'appropriation des styles cinématographique par les réalisateurs. En effet, en proposant un long-métrage qui mélange le scénario intrigant avec les situations comiques, il fait la démarche artistique de casser les genres. Ou du moins de les décloisonner.
Les passages d'angoisse rehaussés par les lumières d'Armand Thirard croisent les scènes burlesques dont l'humour des répliques est à la fois grinçant et d'une méchanceté parfois hilarante. Les décors d'André Andrejew transposent à l'écran non pas des pièces où pourrait traditionnellement se situer un tel film mais un cadre de théâtre avec des meubles de bois et des planchers bruyants. Les dialogues allant du tac-au-tac, les quiproquos, les fausses pistes, les brutales chansons d'opérette et le ton exagéré des comédien dont l'énergique et merveilleuse Suzy Delair contribuent à faire passer le film du long-métrage de genre au long-métrage libre de toute entrave.
Les plans, d'une stabilité exemplaire permettent de regarder le film comme s'il s'agissait d'une suite de saynètes très décomplexées dont certaines sont dignes de pièces de Georges Courteline, mais toujours renforcées par d'esthétiques et signifiants jeux d'ombres et de lumières.
L'intrigue s'échappe en sketches pour mieux reprendre lorsqu'on ne s'y attend pas, tout en se parsemant d'éclairs cocasses mais finement écrits. "L'assassin habite... au 21" est un film habile qui se situe à l'aube du long-métrage policier et fait abstraction de toute allusion à la guerre ou à l'occupation en faisant vivre au spectateur des événements mordants et scrupuleusement travaillés pour un résultat à la fois original et efficace.
